Son nom annonce la couleur: la tour
Hypergreen
se veut verte et durable, essentiellement écologique. Abouti au
terme d'une gestation de six mois, le projet est né de la rencontre
entre le groupe Lafarge,
leader mondial des matériaux de construction, et Jacques Ferrier,
architecte installé à Paris, appuyé par l'ingénieur
Jean-Marc Weil et le bureau d'études Tribu. Réunie au sein
d'un laboratoire de recherche mis en place par l'industriel, l'équipe
pluridisciplinaire a réfléchi autour d'un même mot
d'ordre: «Explorer de façon réaliste l'avenir de
l'architecture dans une option affirmée de développement
durable».
Dénombrant cinquante-cinq étages pour
une hauteur d'environ 250 mètres y compris «l'usine à
vent» plantée au sommet, la tour se distingue moins par ses
mensurations que par son ambition énergétique. «Il
ne s'agit pas d'un exercice de style, mais d'une version possible de l'avenir
des villes qui parie fortement sur l'écologie», insiste
Jacques Ferrier. Les choix de conception se veulent ici validés
par des critères objectifs, forcément structurels, mais aussi
thermiques et fonctionnels. L'objectif affiché est d'apporter une
réponse à l'équation pressante entre urbanisation
et pollution dans le contexte des nouvelles mégalopoles, notamment
celles du continent asiatique ou sud-américain.
A conception claire, résolution simple. Loin
des géométries complexes et des dessins alambiqués,
la tour fuse d'un seul tenant sous la forme d'un corps elliptique ceint
d'une résille constituée d'une trame en losanges de dimensions
variables, déclinés de 7 mètres jusqu'à 1 mètre
de côté selon les orientations. Aussi élémentaire
qu'un protège-bouteille en polystyrène et aussi fascinante
qu'un mandala en fil de fer, cette résille-enveloppe réalise
à la fois le contreventement et la gaine de protection solaire de
l'ensemble dans une intime sujétion de la forme au programme. L'originalité
réside dans la structure ainsi pensée en deux volets, d'une
part la résistance aux efforts horizontaux (prise au vent et parasismique)
gérée par la résille, d'autre part la descente des
charges assurée par une trame de poteaux intérieurs. Débarrassée
du classique noyau central, la structure autorise ainsi une grande souplesse
d'occupation. La seconde avancée, toute de bon sens, est de renouer
avec le principe fondamental de l'orientation, jusqu'à présent
largement nié par les constructions de grande hauteur identiques
sur toutes les faces.
Un béton nouvelle génération
Ni high-tech ni massive, la tour Hypergreen
doit son secret à l'un des matériaux les plus innovants d'aujourd'hui:
le béton fibré à ultra-haute performance, ou BFUP,
sorte de pâte ductile extrêmement résistante et totalement
imperméable, notamment développée par Lafarge
sous le nom de Ductal.
Déjà mis en oeuvre avec succès
par l'architecte Rudy Ricciotti pour la passerelle de la Paix, à
Séoul, en Corée, ou plus modestement par Finn Geipel et Giulia
Andi pour l'aménagement du pavillon de l'Arsenal, lieu d'exposition
de la Ville de Paris, ce béton nouvelle génération
délivre à la résille toute la finesse souhaitée.
Prime à la légèreté: le poids de la structure
de 250 mètres de haut équivaudrait à celui d'un immeuble
traditionnel de huit étages de même emprise. Poteaux et planchers,
tous les éléments sont conçus pour être préfabriqués,
induisant un assemblage propre et mécanique, et un éventuel
démontage tout aussi performant, sans nuisance afférente.
La résille monte en premier et avec elle la grue centrale et les
étages. |
Outre l'effet de claustra sensible de la structure,
la réflexion climatique combine une série de dispositifs
tels que des puits canadiens pour la maîtrise thermique, des
panneaux
photovoltaïques et des collecteurs d'eaux pluviales intégrés
à la résille pour l'apport énergétique et la
performance écologique.
Le couronnement composé d'éoliennes
à axe vertical constitue également un signe d'identité.
Selon le bureau d'études Tribu, la tour serait autosuffisante à
70%. Les volumes intérieurs épousent cette logique environnementale
avec une belle ambiance lumineuse et des serres sur les faces exposées
pour espaces tampons et lieux d'agrément.
Fixer la vie jour et nuit
Le souhait des concepteurs est d'obtenir une occupation
mixte de la superficie de 94.000 m2, entre bureaux, logements
et équipements collectifs, pour optimiser l'ouvrage et fixer la
vie de jour comme de nuit. La conception des parkings creusés en
pied et formant une douve naturellement éclairée facilitera
le fonctionnement. L'investissement ne devrait pas être supérieur
de 10 ou 15% d'une construction conventionnelle de même type, voire
moindre en coût global sur un cycle de vingt ou trente ans.
«Rien dans cette tour n'est inventé.
L'innovation repose sur la combinaison de technologies existantes, rassemblées
de manière efficace pour créer un dispositif inédit
dans son domaine d'application», fait valoir Jacques Ferrier,
pour qui «l'architecture donne du sens à la technique».
A ce jour, la Chine est la première à
se déclarer intéressée par le projet. «Premier
producteur au monde de panneaux photovoltaïques et propagateur
des mobylettes électriques, obligatoires depuis le 1er janvier,
le pays le plus peuplé du monde est peut-être plus préoccupé
de développement durable qu'on ne le suppose généralement...»,
observe l'architecte. Une présentation à l'université
de Tonji, à Shanghai, sorte de super-Polytechnique chinois, a suffi
à motiver une ville nouvelle des environs. La réalité
semble rattraper ce qui n'était au départ qu'une étude,
confirmant l'urgence de solutions au développement urbain pour le
long terme.
Le parcours de Jacques Ferrier
Paru aux Editions Ante Prima-Birkhäuser en
2004, «Useful utiles, la poésie des choses utiles»,
de Jacques Ferrier, éclaire le parcours de cet architecte né
en 1959 à Limoux (Aude) et formé chez Norman Foster, en Angleterre,
qui crée son agence en 1990, à Paris. Préface analytique
et entretien sur la pratique en version bilingue anglais-français
accompagnent la présentation de ses projets et réalisations,
parmi lesquels des équipements publics, culturels et des bureaux,
notamment pour la RATP. Parallèlement à cette production,
Jacques Ferrier développe une activité de recherche architecturale
en partenariat avec les industriels, dont la tour Hypergreen est l'une
des illustrations. |
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